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Albert Laurent
Il y a un siècle, fuyant l’occupation allemande du nord de la
France, Camille LAURENT et son fils Albert, en étape à Abbeville,
décidaient de se fixer en cette ville. À ces deux musiciens qui
ont tant œuvré pour la musique, nous devons une grande
reconnaissance. Je rappelle donc la création en 2007, à la veille
du 30ème anniversaire de la mort d’Albert Laurent, de
l’association Les Amis de Camille et Albert Laurent et l’édition
d’un premier livre Présence d’Albert Laurent. En 2010, un premier
CD fit connaître, enregistrées par le grand pianiste Jean- Claude
Pennetier et des professeurs du conservatoire de l’Abbevillois,
quelques œuvres pour piano et de musique de chambre de celui qui
fut de 1935 à 1966 directeur de l’École de musique et professeur
de piano jusqu’à sa mort. Il avait accepté de donner son nom au
chœur créé dont Jean-Marie Elyn a écrit l’histoire de 1972 à 2012
pour que nous la publions en 2012.
En cette décennie, plusieurs concerts ont permis d’interpréter des
œuvres manuscrites en associant volontiers au nom d’Albert Laurent
ceux du peintre Alfred Manessier et de l’écrivain Robert Mallet et
en encourageant à la création. Il convient d’honorer aussi ces
deux musiciens qui se sont succédé comme organistes titulaires au
clavier de l’orgue de l’église Saint-Jacques d’Abbeville. Le grand
orgue de tribune, commandé en 1904 à l’entreprise Mutin
Cavaillé-Coll (op. 850) par le conseil de fabrique de la paroisse,
était devenu propriété de la commune avec l’église par la loi de
1905. Il avait été épargné par les bombardements de la guerre
39-45. J’ai eu, un temps, la responsabilité de veiller à son
entretien et à sa réhabilitation et d’accompagner les offices. Il
avait bénéficié d’une cure de jouvence en 2001-2002. Des concerts
avaient été donnés en vue de fêter son centenaire quand la tempête
de décembre 2004, en crevant la voûte de l’église, maltraita
tribune et console, tout en ménageant l’instrument et son buffet.
En 2013 vint l’heure de la destruction de l’église Saint-Jacques
III sous la contrainte de la sécurité et le dépôt en urgence de
l’instrument en l’état, élément du patrimoine de la ville.
C’était un bel orgue de 22 jeux, 2 claviers, 1 pédalier dans un
buffet de 7 mètres de largeur et de 3 mètres de profondeur, conçu
pour cette église consacrée en 1878. Il avait fait l’objet de
travaux en 1946. J. Reinburg avait remplacé le tirage mécanique
des registres par un tirage pneumatique en respectant la
composition initiale. En 1966, la maison Beuchet de Nantes fait
des modifications par adjonction de 3 jeux, un plein-jeu au grand
orgue, une cymbale et un cromorne au récit pour permettre à
l’instrument de style romantique d’exécuter le répertoire
classique.
Faute de disposer de l’orgue de Saint-Jacques pour
l’enregistrement du CD prévu, il nous a semblé que l’orgue de Long
sorti en 1877 de l’entreprise d’Aristide Cavaillé-Coll (op. 478),
inauguré par Alexandre Guilmant et classé en 1986 avec un buffet
dû à Delforterie, l’architecte de la 3ème église Saint-Jacques
détruite, conviendrait pour mener à bien le projet.
Nous remercions très vivement Monsieur le Maire de Long, son
conseil et l’organiste de l’accord donné et des conditions
favorables qui ont permis la réalisation du 2ème CD par Monsieur
Gérard Durantel et remercions aussi chaleureusement l’équipe
professorale du Conservatoire de musique et de danse de
l’Abbevillois sous la direction de Violette Garnier et les
artistes invités, sans oublier le régisseur du Conservatoire. La
qualité des œuvres proposées et de leur interprétation promet le
succès.
Mon âge me permet d’évoquer nombre de souvenirs, d’exprimer le
respect amical et affectueux que je garde de ces deux Maîtres que
j’ai admirés dès 1926 quand je leur fus confié, le plaisir délicat
que j’ai toujours éprouvé à goûter la beauté chaque fois que
j’entendais Albert Laurent interpréter les œuvres de
Jean-Sébastien Bach, de César Franck, de Gabriel Fauré parmi
d’autres ou se livrer à l’improvisation en laquelle il excellait.
Comprenez mon émotion quand j’ai tenu l’orgue à ses obsèques en
janvier 1978.
Avec lui, près de lui et sans lui, j’ai touché les claviers de
l’orgue depuis sa mort avec d’autres devenus comme moi orphelins.
L’Association continuera sa mission avec la parution d’un livre
qui donnera le corpus des œuvres de ces deux Maîtres de la musique
et portera à la connaissance de tous quelques-unes des conférences
d’Albert Laurent.
Philippe Duclercq Président des Amis de Camille et Albert Laurent
Albert Laurent
Né le 17 septembre 1885 à La Bassée, dans le Nord, de parents
originaires des Vosges, Albert Laurent suit de solides études au
collège Saint- Jude d’Armentières où la famille s’est installée en
1892. Son père Camille, organiste et compositeur, lui donne ses
premières leçons de musique. Albert intègre les classes de piano,
violoncelle, harmonie, contrepoint et fugue du Conservatoire de
Lille. Il hésite entre la littérature et la musique, et si la
musique l’emporte, toute sa vie il aura la passion de l’écriture
et de la lecture.
Encore au Conservatoire, il compose ses premières œuvres, dont une
Élévation pour orgue. En février-mars 1908 - il a 22 ans -, il
écrit une première sonate pour violon et piano qu’Hélène Wolff et
Louise Clapisson, Premier Prix du Conservatoire de Paris et future
épouse du grand violoncelliste Paul Bazelaire, joueront le 10 juin
1910 à la Société Nationale des Beaux- Arts de Paris, lors du
"Salon 1910 Tapis d’Orient des Grands Magasins du Printemps". La
Sonate ne s’éloigne pas des formes classiques - elle est en quatre
mouvements -, mais elle est la marque d’un jeune musicien
passionné et épris de virtuosité.
J’ai été ravi d’avoir l’opportunité de découvrir le compositeur
Albert Laurent au travers de sa Première Sonate pour violon et
piano. Lamatière musicale est riche et diverse. Les thèmes
alternent rapidement et nous mènent à travers une palette
harmonique à la fois vaste et intéressante. Découvrir et
travailler cette sonate, qui n’a jamais été enregistrée, nous a
conduits à nous interroger constamment, de façon autonome, sur la
manière dont les différents thèmes se développent, sont reliés
entre eux et le maintien d'un bon équilibre entre les deux
instruments. Cela a apporté à notre propre vision artistique
beaucoup de maturité que nous portons maintenant en nous lorsque
nous abordons d’autres pièces, connues ou non. Ce fut un véritable
plaisir de découvrir et monter cette sonate.
Cédric Allard
Suivent des mélodies, de nombreuses œuvres de musique de chambre,
pour le piano, pour l’orgue. Les œuvres d’Albert Laurent sont
jouées à Lille, Armentières, à Gérardmer dans les Vosges où la
famille se rend régulièrement, mais aussi à Paris, Salle des
Quatuors Gaveau, Salle Érard, Salle des Concerts du Conservatoire
de Paris. De grands interprètes de l’époque les portent à la
connaissance du public. La Grande Guerre interrompt brutalement
une carrière qui s’annonçait prometteuse. L’avancée allemande dans
le Nord de la France pousse la famille à quitter Armentières. Elle
se retrouve à Abbeville où elle s’établit. Le jeune pianiste et
compositeur se voit nommé chef de la Musique de la 14ème
Territoriale alors stationnée dans la capitale du Ponthieu. Albert
Laurent se remet à composer. Le 9 janvier 1917, il écrit Pensée
des temps de guerre, un poème qu’il met en musique.
Ô terre dont mes yeux ont scruté la beauté / Dans ton ciel tour à
tour d’azur et de bruines,/ Dans tes bois bleuissants et tes
souples collines / Où la grappe mûrit sous le soleil d’été./ Entre
toutes joyeuse et riche de clarté,/ Où par les soirs dorés les
sirènes marines,/ Le branle des clochers et l’écho des clarines /
Te font dans le silence, un chœur de royautés./ Ô toi, France très
noble et si pure qu’un glaive / De paladin, ô toi dont jamais ne
s’éteint / La gloire étincelante à l’horizon latin,/ Suffit-il
pour t’aimer d’une voix qui s’élève,/ Plus fervente parmi celles
du souvenir,/ Ou du râle qu’exhale aux fins de son désir / L’homme
qui n’a plus rien à donner que son rêve."
Albert Laurent s’intègre à la vie musicale abbevilloise, donne des
leçons, organise de nombreux concerts. C’est probablement après
avoir entendu le 7 février 1925, lors du 474ème concert de la
Société Nationale de Musique, les Joueurs de flûte, 4 pièces pour
flûte et piano d’Albert Roussel, puis joué le lendemain à
Abbeville la Sonate Undine de Reinecke et la Sonate pour flûte et
piano de Mel Bonis avec le grand flûtiste Louis Fleury, - le
dédicataire de la 3ème pièce des Joueurs de flûte d’Albert
Roussel, Krishna, et interprète engagé de la musique nouvelle -,
qu’Albert Laurent songe à écrire une œuvre pour flûte et piano, sa
première œuvre de musique de chambre pour un instrument à vent. La
Sonatine pour flûte et piano composée en 1927 sera jouée en 1ère
audition par le flûtiste Jean Merry, futur créateur des Cinq
Incantations pour flûte d’André Jolivet, et Albert Laurent au
piano le 10 avril 1934, salle Pleyel, lors d’un concert donné par
la Société Nationale de Musique. Dans le compte-rendu du concert
qu’il publia dans le Monde musical, le critique Georges Dandelot
écrivit :
"Les deux œuvres qui me paraissent dominer le concert sont : la
Sonatine pour flûte et piano d’Albert Laurent et le Trio à cordes
de Marcel Orban. Ces deux œuvres qui se suivaient dans le
programme sont assez dissemblables et se complètent tout en
s’opposant. Alors que nous sommes séduits, dès le début, par la
musique vivante, nerveuse, pétulante, pleine d’entrain et de
trouvailles rythmiques d’Albert Laurent, ce qui nous charme, au
contraire, chez Marcel Orban, c’est la ligne mélodique ... Si je
me sens porté à donner la préférence, actuellement, à l’œuvre
d’Albert Laurent, c’est que mon goût s’affirme pour la musique
rythmique et peut-être aussi à cause de la concision de la forme,
ce qui est naturel pour une sonatine. Mais voici deux belles
œuvres, toutes deux dignes d’être ‘révélées’ et qui enrichiront
(il faut l’espérer) le répertoire des concerts où l’on joue
toujours les mêmes choses."
La Sonatine sera rejouée en présence du compositeur le 3 avril
1973 à la Salle municipale des Fêtes d’Abbeville par Marcel Pozzo
di Borgo à la flûte et Betty Moulin au piano.
En 1928, Albert Laurent rencontre Albert Roussel et rédige
L’entretien avec ... Albert Roussel. À la fin des années 20, il
compose moins ; il faut retenir, datant de mars 1929, Heureux ceux
qui sont morts sur un poème de Charles Péguy, et écrite en 1931,
une magnifique Rhapsodie pour violoncelle et piano. En 1936, il
prend la direction de l’École de musique, continue de beaucoup
jouer en concert, tient l’orgue de l’église Saint-Jacques, donne
des conférences et s’attelle à un
ouvraged’envergurequil’occuperajusqu’àlafindesavie
Lamusiqueetlapenséeoccidentale, non pas une histoire de la
musique, mais une œuvre musicologique cherchant à "replacer [l’art
musical] dans un climat d’états d’âme collectifs", visant à
"réintégrer [la musique] dans le courant des civilisations".
À la fin des années 50, la passion de l’écriture semble prendre le
dessus. Après In memoriam,écrit par Albert Laurent en souvenir de
sa seconde épouse décédée en 1956, paraît en 1960 à l’imprimerie
Paillard Impromptus, un recueil de pensées. Le poète et romancier
Robert Mallet en signe la préface. Deux hommes très différents :
autant Albert Laurent paraît s’être replié sur Abbeville, autant
Robert Mallet mène une intense vie professionnelle loin du berceau
de la famille paternelle, Bray-les-Mareuil. Au moment de la
parution d’Impromptus, il se trouve à Madagascar où il dirige la
faculté des Lettres qu’il vient de fonder. Mais les deux hommes,
qui n’ont pu manquer de se côtoyer au sein de la Société
d’Emulation d’Abbeville, se comprennent. Robert Mallet écrit : Le
livre de M. Albert Laurent est celui d’un solitaire qui sait
attirer la "confidence du silence " pour la remplir de ses propres
réflexions [...] Albert Laurent que l’art préoccupe non moins que
la morale, pénètre dans les zones reculées de la conscience
analytique par les voies d’un style harmonieusement impératif. Il
ne laisse rien de ce qu’il aborde dans l’ombre et les
articulations de sa phrase rendent souple une pensée dont
l’ossature, sous une autre plume que la sienne, aurait risqué, par
son poids, de s’ankyloser. Impromptus est un éloge de l’art, des
authentiques vertus, de l’âme, de la culture, de la vérité et de
la vie, un éloge à la solitude aussi (cité par P.-J. Desreumaux).
De Robert Mallet, Albert Laurent met en musique avec un sens aigu
du texte poétique deux poèmes extraits des Mahafaliennes, recueil
publié en 1961 : Le silence touffu et Nous gravons nos désirs.
Le silence touffu – poème de Robert Mallet extrait des
Mahafaliennes Le silence touffu s’écarte dans un bruit / de
feuilles froissées et de fleurs fraîches qui tombent./ Nous
avançons sans attendre le temps des fruits / et le soleil sème sa
sève sur les ombres./ Pour survivre, vivons de silence aux jardins
/ qui savent la lenteur agile des croissances / et refusons les
cris, les gestes trop soudains / où meurent les longues saisons de
l’espérance.
Nous gravons nos désirs – poème de Robert Mallet, extrait des
Mahafaliennes Nous gravons nos désirs de durables offrandes / sur
l’écorce où sommeille un mouvement vivace./ Quelques printemps les
vouent à des lettres plus grandes / mais beaucoup de printemps
généreux les effacent./ Si nous voulons que vivent noms, dates,
guirlandes / si nous plaignons les cœurs comblés par leurs
crevasses,/ que nos mains fuient le charme des peaux d’arbres
tendres / et tracent dans le froid du roc nos dédicaces./ Moi je
choisis la sève et ses tièdes espaces / et ses vivants dangers de
plaies et de légende.
Les Amis de Camille et Albert Laurent, suivant
ainsi une des missions qu’ils se sont données, ont passé commande
en 2013 d’une œuvre au jeune compositeur Gilles Doneux. Lux
Mutabilis – hommage à Alfred Manessier - fut créé le 6 avril 2014
en l’Église Saint- Sépulcre d’Abbeville. La commande s’inscrivait
dans le cadre des années "Manessier en Picardie 2011 - 2013".
Fasciné par les incroyables jeux de couleur offerts par les
vitraux d’Alfred Manessier, Gilles Doneux se met en quête d’un
écho musical. En effet, selon l’heure et le jour, les jeux de
réflexions et de lumières apportent un regard différent sur
l’édifice. Lux Mutabilis (en latin : lumières changeantes) propose
un matériau sonore qui se transforme en passant à travers
différents médiums. Les instruments (clarinette, violoncelle,
piano), le chœur et le dispositif électronique servent ainsi de
filtre au travers duquel les couleurs sonores sont en constante
mutation.
Violette Garnier
Les pièces de ce programme sont enregistrées sur l’orgue Aristide
Cavaillé-Coll de Long. Inauguré par Alexandre Guilmant le 23
décembre 1877, cet instrument classé monument historique est dans
son état d’origine. Il a fait l’objet d’un relevage en 1989 par la
maison Laurent Plet qui est toujours en charge de son entretien.
Ce sont des œuvres en partie de jeunesse qui bénéficient de
l’expérience d’Albert Laurent sur les orgues d’Armentières (Nord).
En effet, le célèbre facteur d’orgue Aristide Cavaillé-Coll
construisit un grand instrument pour l’église St-Vaast
d’Armentières,inauguré le 27 septembre 1898 par Eugène Gigout
"L'instrument que construit actuellement M. Cavaillé-Coll, est un
grand orgue de 32 pieds, composé de 50 jeux complets, répartis sur
un pédalier, et trois claviers à mains dont deux expressifs. Il
possède 3.094 tuyaux, 18 pédales de combinaisons, et 3 machines
pneumatiques ; il réunit en un mot tous les perfectionnements de
la facture moderne.
Plusieurs indications de registrations, notamment la prescription
pour 3 claviers, laissent à penser que ces pièces ont été écrites
pour cet orgue : Lied et Offertoire sont clairement datés de
janvier 1913 à Armentières, et le Prélude, écrit pour 3 claviers,
bien que non daté est vraisemblablement contemporain de ces deux
pièces. Malheureusement, l’église et l’orgue seront détruits le 25
décembre 1914 par les bombardements... Il était donc évident
d’enregistrer ces pièces sur l’orgue Cavaillé-Coll de Long pour se
rapprocher au plus près de l’idéal sonore d’Albert Laurent et
rendre pleinement justice à la précision des timbres vouluspar le
compositeur. En outre, les témoignages sur les talents
d’improvisateur d’Albert Laurent ne laissent aucun doute sur son
goût pour l’harmonisation ascendante des grands instruments
symphoniques de Cavaillé-Coll.
Musique et langage
A l’image de certains organistes-improvisateurs, Albert Laurent
laisse peu d’œuvres écrites pour orgue en regard de l’ensemble de
son œuvre pour piano et musique de chambre. Il semble que
l’improvisation à l’orgue fût un terrain privilégié de son
expression intérieure : référence constante à César Franck
chromatisme, pensée orchestrale. Indissociable de son instrument
de Ste-Clotilde construit par Cavaillé-Coll,César Franck développe
à son contact un langage et une écriture unique pour orgue qui se
nourrit aussi de l’art de Beethoven ou Wagner. En évoquant César
Franck, comment ne pas penser aux multiples talents similaires
d’Albert Laurent et à son attachement pour un orgue, celui de
St-Jacques. L’ombre de Gabriel Fauré plane tout autant sur l’œuvre
d’Albert Laurent. Pourtant Fauré bien qu’organiste, ne laisse pas
une note pour l’instrument à tuyau ; en revanche sa production
pour piano, musique de chambre ou voix est abondante. En rentrant
plus en avant dans l’écriture d’Albert Laurent, un style personnel
oscillant entre Franck et Fauré est manifeste : influences
fauréennes dans le balancement harmonique usant du degré III,
plages harmoniques étales se rappelant du In paradisum du Requiem
; références franckistes dans l’écriture à 4 parties dans le style
quatuor à cordes, la maîtrise de la forme (le plus souvent ABA’
dans les œuvres présentées sur ce disque), enharmonies
recherchées, etc.
Les pièces pour orgue écrites qui nous sont parvenues, semblent,
par leur taille modeste, leur titre, faire référence à l’usage
liturgique de l’instrument. Nous sommes bien loin des élans de la
Sonate pour piano et violon dans ce même disque. On trouve dans
les manuscrits d’Albert Laurent des pièces intitulées Prélude,
Offertoire, Elévation (Lied se nomme également Elévation dans un
des manuscrits), trois interludes pour orgue ou harmonium dans les
tonalités grégoriennes, titres qui laissent peu d’équivoque quant
à l’usage " pratique", pour la liturgie, de ces œuvres. De même
l’utilisation du pédalier est assez discrète et permet de jouer la
plupart des pièces aussi à l’harmonium (beaucoup d’églises ne
bénéficiant que de cet instrument).L’écriture concise, très
maîtrisée, dans une écriture à 4 parties très suivie, les titres à
usage liturgique renvoient au recueil L’Organiste que César Franck
entreprit de composer à la fin de sa vie. Il est certain qu’Albert
Laurent connaissait ce recueil d’une grande beauté, témoignage
"miniature" de l’art de l’organiste de Ste-Clotilde.
Quatre pièces pour Orgue
Le père d’Albert Laurent, Camille, organiste à Armentières et
Abbeville, composa plusieurs pièces pour orgue et instrument et
orgue seul. Un triptyque pour orgue a même été édité à la Procure
générale de musique religieuse d’Arras : Cantilène, Invocation et
Toccata par Camille Laurent organiste de Notre-Dame à Armentières.
Camille a initié son fils à la musique lui ouvrant l’accès aux
orgues d’Armentières. Il est manifeste que c’est dans ce contexte
que Prélude, Lied et Offertoire naîtront, car après les pièces
pour orgue seront fort rares.
Lecture à vue en ré mineur (1969), plus tardive, est destinée à un
usage pédagogique9, pour une épreuve d’un conservatoire ou
peut-être pour un élève pianiste d'Albert Laurent. Sans
registration indiquée, cette pièce a certainement été écrite d’un
trait. J’ai choisi d’utiliser les belles flûtes 4’ de l’orgue de
Long. On trouve de nombreux exemples de ces courtes pièces de
circonstances chez les compositeurs français qui peuvent receler
quelques pépites comme Morceau de lecture à vue pour violon et
piano de Gabriel Fauré.
Prélude en mi mineur, non daté, est certainement contemporain de
Lied et Offertoire mais évolue dans un langage plus romantique
proche de Mendelssohn. Construit en crescendo sur un thème exposé
à découvert au pédalier dès le début, une section médiane utilise
un thème contrastant un peu naïf dans la veine de Les plaintes
d’une poupée pour piano de C. Franck. Lied en mi bémol Majeur
(1913) est d’une perfection de facture et d’expression
exceptionnelles ! Cette pièce évolue dans un climat doux et
délicat utilisant le registre de voix céleste. Le titre fait
essentiellement référence à la forme en 3 parties -A B A’- que
l’on appelle forme lied. Offertoire en sol Majeur (1913) est une
pièce de plus grande envergure qui évoque le langage chromatique
de C. Franck et même de Louis Vierne par moments. Egalement de
forme A B A’, Albert Laurent ménage après un crescendo une coda
sur le thème B qui évoque directement la section centrale de Lied,
parachevant ainsi la cohérence d’une personnalité musicale déjà
bien présente chez un jeune homme de 28 ans.
Violoncelle et orgue
Les partitions originales pour orgue et instrument sont assez
rares pour souligner le véritable enrichissement que sont ces deux
pièces dans le répertoire de l’organiste. Par cet effectif, Albert
Laurent unit sa pratique du violoncelle et sa pratique de l’orgue.
Ces deux pièces sont placées sous le sceau de la romance sans
paroles. Si le titre Mélodie est évident, Epithalame fait
référence à une sorte de poème lyrique composé à l'occasion d'un
mariage à la louange des nouveaux époux. En Grèce antique, il
était chanté par un chœur, soit de jeunes vierges seules, soit de
jeunes filles et de jeunes garçons, avec accompagnement de danses.
Construites en A B A’, elles évoquent l’atmosphère de la musique
de chambre de Gabriel Fauré des années 1870-80. L’harmonie
d’Albert Laurent y est très raffinée et l’écriture, jamais
gratuite, fait toujours dialoguer intimement l’orgue et le
violoncelle. Si l’écriture de la partie d’orgue de Mélodie est
plutôt traditionnelle, celle d’Epithalame est tout à fait
originale. Elle unit l’expérience du piano et de l’orgue :
bruissement des triolets de la main gauche, arpèges aériens dans
l’aigu. Le langage harmonique se situe dans la lignée du meilleur
Fauré : utilisation du degré III, délicat balancement I/VI dans
l’aigu de la partie B.
Voix et orgue
Heureux ceux qui sont morts ... (26 mars 1929) Heureux ceux qui
sont morts pour la terre charnelle, Mais pourvu que ce fût dans
une juste guerre. Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de
terre. Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle. Heureux
ceux qui sont morts dans les grandes batailles, Couchés dessus le
sol à la face de Dieu. Heureux ceux qui sont morts sur un dernier
haut lieu, Avec tout l'appareil des grandes funérailles. Heureux
ceux qui sont morts pour des cités charnelles,Car elles sont le
corps de la cité de Dieu. Heureux ceux qui sont morts pour leur
âtre et leur feu, Et les pauvres honneurs des maisons paternelles.
Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la
première argile et la première terre. Heureux ceux qui sont morts
dans une juste guerre. Heureux les épis murs et les blés
moissonnés.
Albert Laurent utilise ici un extrait de Eve de Charles Péguy. Un
an avant sa mort au champ d’honneur, en 1914 à Villeroy, il
écrivit ce poème comme un écho au texte des Béatitudes. L’œuvre
parut extravagante ! Elle l’était sans doute par sa longueur
inusitée, 1911 quatrains, 7644 vers d’une seule coulée, mais aussi
par son mode d’expression poétique : des alexandrins de facture
classique. Plusieurs compositeurs se sont servis de ce texte très
fort, prémonitoire des pertes humaines considérables de la
première guerre.
Originalement pour chœur mixte et orchestre, Albert Laurent en a
fait une version pour orgue et voix en partie inachevée. C’est
cette version, achevée, qui est présentée ici. Construite en A B
A’, le chant se déploie sur une sorte de balancement funèbre et
grave de l’orgue. Après une section centrale plus aérienne, la fin
s’élève vers la tonalité de La majeur avec un réel dépouillement
et une économie de moyen propre à l’éternité bienheureuse.
Adrien Levassor

Biographies
Diplômé des CNSM de Lyon et de Paris, finaliste du Grand Prix
d’orgue Jean-Louis Florentz – Académie des beaux-arts à Angers,
Adrien Levassor se produit sur plusieurs orgues historiques et est
l’invité de nombreux festivals. Il est titulaire des Grandes
Orgues Merklin de Saint-Jean-de-la-Salle à Paris, enseigne comme
PEA au Conservatoire de l’Abbevillois, et est le directeur
artistique d’Orgues en octobre, le nouveau festival dédié à
l’orgue organisé par le Syndicat mixte Baie de Somme 3 Vallées en
partenariat avec le CRI de l’Abbevillois.
Titulaire d’un master en chant, en musique de chambre et en flûte
du Conservatoire Royal de Mons, Angéline Le Ray mène une carrière
d’artiste lyrique tant en France qu’en Belgique, se produisant
comme soliste dans des rôles d’opéra et d’opérette. Elle est
membre depuis 2009 du quatuor de flûtes international 4 Tempi
invité de plusieurs festivals. Elle enseigne le chant au
Conservatoire de l’Abbevillois.
Issus des Conservatoires Royaux de Mons et de Bruxelles,
passionnés tous deux de musique de chambre, Nawal Oueld Kaddour
(piano) et Cédric Allard (violon) intègrent le cycle de
perfectionnement de l’Institut de musique Eugène Ysaïe à
Bruxelles. Ils forment le duo KadAr(t), travaillent avec de grands
professionnels, ce qui leur ouvre les portes de nombreux récitals
en France et en Belgique. S’ils sont désireux d’interpréter les
grandes œuvres du répertoire, ils ont aussi la volonté de faire
connaître des pièces peu jouées, voire oubliées. Nawal Oueld
Kaddour enseigne comme PEA au Conservatoire de l’Abbevillois,
Cédric Allard en Belgique. Il est par ailleurs membre de plusieurs
orchestres tels la Philharmonie d’Anvers et le Brussels Chamber
Orchestra.
Formée aux conservatoires de Boulogne-Billancourt
et de Saint-Maur-des-Fossés où elle obtient plusieurs prix, Sida
Bessaïh est une chambriste subtile. Elle explore aussi les
musiques jazz, klezmer et orientales et s’engage dans la diffusion
et la création d’œuvres contemporaines. Elle se produit
régulièrement avec l’Orchestre National d’Alger et l’Orchestre
Philharmonique du Maghreb et fait partie d’orchestres d’opérettes
sur des tournées nationales et européennes. Elle enseigne aux
conservatoires de l’Abbevillois et de Massy.
Deux fois boursière de la Fondation de France, Maitane Sebastian
commence très vite à se produire. En 2006, elle intègre à Paris
l’Ensemble Nomos dirigé par Christophe Roy faisant ainsi
résonnance à son intérêt grandissant pour la musique
contemporaine. Passionnée de musique de chambre, elle est membre
du Duo Parhélies (violoncelle – piano), du Duo A Tempo
(violoncelle – accordéon), du Duo Anhelo (violoncelle – guitare)
et du Quatuor Sésame. Elle est aussi auteure compositrice. Elle
enseigne comme PEA au conservatoire de l’Abbevillois.
Après l’apprentissage de divers instruments, Gilles Doneux se
tourne vers la composition et entre en 2005 au Conservatoire Royal
de Mons (Belgique). Il y obtient en 2010 un master en composition
dans la classe de Claude Ledoux, et en 2011 un master en écritures
classiques dans la classe de Jean-Pierre Deleuze. Il y a également
suivi des cours de musiques appliquées (musique de cinéma,
théâtre...) avec Denis Pousseur et Jean-Luc Fafchamps. Il est
actuellement doctorant à l’université de Paris 8. Sa thèse porte
sur les interactions entre l’écriture instrumentale et l’écriture
électroacoustique. Dans sa musique, Gilles Doneux tente de
concilier son intérêt pour l’introspection sonore et sa réflexion
sur les phénomènes sociaux et culturels. Il a notamment reçu des
commandes des ensembles Musiques Nouvelles, Nikel, Orchestre Royal
de chambre de Wallonie, Maîtrise de la Loire, du festival Ars
Musica et du festival Musicalta (Alsace). En 2010, il reçoit le
prix Pousseur du Centre Henri Pousseur. Il est également un des
membres fondateurs de l’Ensemble LAPS (laptop et acoustic
production system) avec lequel il s’est produit sur de nombreuses
scènes à travers le monde.

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